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 LA TUNISIE, TERRE D'ASILE POUR UNE NOMBREUSE COLONIE ESPAGNOLE VENUE DE LA COMUNIDAD VALENCIANA

 

Slimane- Mostafa ZBISS

membre correspondant de la Real Academia de la Historia

A la suite de la prise de Valence par Jaime 1er, de nombreuses familles musulmanes, parmi les plus importantes de la région, se réfugièrent à Tunis et y firent souche. Nous citerons les Ibn al Abbar, de Onda, les Ibn Amira, de Alcira, les Baterni, de Paterna, les Ibn al Ghammaz de Valence même, dont le premier venu fut par deux fois grand cadi de Tunis. Hazim al –Qarta janni, de Cartegene fut un poète familier de  la cour hafside et illustra dans un poème de mille vers, les mérites du calife tunisien Al-Mustansir, Abu al-Abbas al-Mursi, de Murcie, disciple du grand mystique tunisien Abu al-Hasan Ach Chadhuli  vécut avec lui à Tunis avant de le suivre dans sa retraite en orient et d’y diffuser fidèlement sa discipline. Ibn Bortola, également de Murcie,  fut investi de la haute charge de grand cadi de Tunis. De Murcie, encore, via Alméria, nous est venu Md Ar-Ramimi, un autre chef de Charq al-andalus. Ce dernier a pris la précaution d’emmener, avec lui, outre sa famille, une nombreuse suite. Abu Zakarya, le fondateur de la dynastie hafside, lui octroya un vaste terrain proche de la Biga (= Vega) où il aménagea un quartier encore connu aujourd’hui sous le nom de quartier Hammam ar-Ramimi (=Bain de Ramimi).

Il serait long et fastidieux de citer toutes les personnalités venues de la Communidad Valenciana à cette époque à Tunis, encore plus, une infinité d’autres de moindre importance.

Mais quelques siècles plus tard, à la suite de la chute de Grenade entre les mains des Chrétiens, l’exode des Musulmans à Tunis semble très important, bien qu’il nous soit très imparfaitement connu. Il faudra attendre plus d’un siècle les exodes consécutifs aux décrets d’expulsion de 1609 et des années suivantes pour offrir à notre connaissance des notions plus précises, comme celle relative à l’origine ethnique des familles débarquées d’Espagne à Tunis. Alors que précédemment, on s’appelait untel le Valencien, le Murcien, l’Alicantin, avec les morisques, on est devenu Untel de Valence, de Murcie, d’Alicante ; puis très rapidement, on a supprimé la particule d’appartenance pour devenir simplement Untel Valence, Untel Murcie, Untel Alicante. Aussi fut-il  facile de reconnaître la ville ou le village d’Espagne d’où la famille tire son origine, le nom de l’une s’identifiant à l’autre. Ainsi, dans la liste des noms de famille qu’on va présenter, on trouvera clairement la localité espagnole et plus précisément la localité de l’Est Espagnol de laquelle se réclame chacune de ces familles.

-                Al Manar : famille à Testour et à Tunis, vient de la localité El-Menara, au sud de Castellon de la Plana.

-                Berrayyana : famille de Monastir, tire son origine de Burriana, dans la banlieue sud de Castellon.

-                Z’ghonda : Une famille de Sfax (Tunisie) porte ce nom qui semble se rattacher à Sagunto, au sud de Castellon. De Murviedro (nom ancien de Sagunto) est originaire une famille de Tébourba, les Mezzi qui ont paradoxalement abandonné leur ethnique espagnol si caractéristique.

-                Al-Khemisi : Cette famille de Testour semble se rattacher à la localité El-Gemesi, au sud de Valence.

-                Bouguerra : Les Buguerra, famille de cultivateurs, de grands commerçants et de hauts magistrats, qui semblent être venus de Buguerra, à l’Est de Valence, pour s’installer dans le Sud-Tunisien, dans la banlieue de Gabès.

-                Chelbi : Les familles tunisiennes portant ce nom se réclament soit d’une origine turque, soit d’une origine portugaise (Silves), soit encore d’une origine espagnole (Chelva, à l’Est de Valence).

-                Chtourou : Les familles Chtourou et Chtoura se réclament de la région del Rio Segura, au sud d’Alicante.

-                Karabaka : Les Karabaka viennent, sans nul doute, de Caravaca au sud d’Alicante. Le dernier représentant de cette famille, Adberrazak Karabaka, fut un dandy à la dernière mode, d’une élégance à toute épreuve, doublé d’un poète d’une rare finesse. Il est mort en 1945 à Tunis.

-                Balma :  Cette famille semble avoir pour origine Palma de Gandia au sud de Valence. Versée autrefois dans la fabrication de la Chéchia (bonnet rouge) dont elle tirait une confortable aisance, elle vit aujourd’hui de ses rentes et ses membres se sont convertis dans la fonction publique, les affaires et l’enseignement supérieur à l’Université Zitouna.

-                Catral : Cette localité de la région alicantine a donné à une famille qui en vient la fâcheuse dénomination : Qotran (=goudron) que rien ne justifie. Cette famille s’est spécialisée dans la reliure d’art des livres pour les riches bibliothèques.

Maintenant, notons un retour à l’ethnique quant aux noms des familles suivantes, toutes de Testour : Lakanti (Alicantin), Dani (de Denia) qui semblent avoir été conservés par des gens assez lettrés en arabe, pour se souvenir et utiliser l’ethnique convenable. Les Dehissi, établis aujourd’hui à Tunis, mais venant de l’intérieur de la Tunisie (mais exactement d’où ?) semblent être originaires d’Al-Palmar (Plage de Dehesa, sur la mince bande de terre coincée entre la mer et la al-Bufera à une vingtaine de Kms au sud de Valence.

Le Darb (=Barrio) Ibn Assal, dit injustement Darb al Assal (=El Barrio du Miel), dans le Faubourg nord de Tunis, proche du Barrio de Ramimi (voir plus haut), semble rappeler la petite localité espagnole Benasal, au Nord-Ouest de Castellon de la Plana d’où serait originaire le fondateur de ce quartier.

Par contre une autre famille, les Balanciano (Valencien) utilisent l’ethnique espagnol. Ce dernier nom a été trouvé inscrit par un scribe sur un coran ancien  de la grande mosquée de Testour. La famille Balanciano n’existe plus aujourd’hui. A moins qu’elle n’ait changé simplement de nom.

-                Barguil :  Les jardins verdoyants de Barguil, à Testour, étalés sur les deux rives du Rio Mejerda rappellent les riches vergers de Vergel au nord de Denia. C’est sans doute un ingénieur agronome de cette contrée espagnole qui a voulu, à l’image du site merveilleux laissé en Espagne, recréer pour les yeux et pour l’âme de ses malheureux concitoyens un site qui le rappelle à leur imagination.

Notons, enfin, qu’une colonie, partie d’Alcoy, s’est réfugiée dans la région de Sousse, l’équivalent d’Al-Charq at-Tunisi (=l’Est- Tunisien). Une prospection est à faire pour déterminer les familles d’Alcoy qui ont trouvé refuge dans cette zone.

Nous avons réservé une place spéciale à Sax, aux gens de Sax et à leur impact sur la vie tunisienne.

Des familles venues de Sax, l’une, les Sachi, se trouve encore à Tunis, à l’adresse suivante (4 rue de la Noria, par la rue du Pacha, Tunis). Sa dénomination par l’ethnique classique semble la situer parmi les réfugiés antérieurs à l’exode des Morisques, à moins que son attachement à cet ethnique classique ne soit la marque d’une culture arabe non encore émoussée.

Une autre famille d’agriculteurs, à Testour est connue  sous le nom des Sakis (=Sax). Seule différence, le X= ks est prononcé kis en forçant sur la voyelle i. Cette famille semble de toute évidence morisque.

Une troisième famille, à Bizerte, porte le nom de Saxi, un autre ethnique, mais formé sur la forme actuelle, forme espagnole, du nom de Sax et non sur la forme arabe, Sach. Cela laisse supposer que cette famille appartienne à la période morisque qui a précédé l’exode définitif de 1609. Elle a été fortement hispanisée, mais pas totalement désarabisée. Il s’agirait d’une personne, originaire de Sax, qui a quitté l’Espagne en même temps qu’un contingent de Musulmans espagnols qui ont abordé le port tunisien de Bizerte et y ont fondé une sorte de république de corsaires, à la fin du XVIe siècle, à l’effet de contrecarrer en mer toute activité espagnole. Cette famille Saxi en serait la descendante.

De Sax, est également une famille de grand renom, à Tunis, les SAKES-LI. Ce nom se compose de Sax et du suffixe (li) indiquant en turc l’ethnie.

Cette famille dont un membre fut un haut fonctionnaire dans l’administration turque qui dirigeait la Tunisie, à l’époque, a vu son nom turquisé par nécessité pour être conforme aux écritures comptables et aux registres nominaux des Turcs.

Les Morisques se sont adonnés, en Tunisie, à une activité artisanale intense dont la principale était la fabrication de la chéchia (bonnet rouge en laine pour hommes) qui leur rapportait de gros bénéfices et assurait au pays de confortables subsides. Mais ils ne fabriquaient pas seulement des chéchias. Ils fabriquaient, entre-autre, des demi-sphères en laine qu’on mettait par deux sur les seins des dames pour tenir haute leur poitrine. Ces petites calottes faites avec une laine très douce s’appelaient cabbous Sax(1) (=calottes de Sax). C’était donc une spécialité de Sax introduite dans une production dont les Morisques étaient les seuls fournisseurs attitrés. Ce serait là l’ancêtre du soutien-gorge actuel.

Ainsi donc, nous voyons le rôle prépondérant joué par Sax et le peuple de Sax parmi une colonie de Morisques originaires de tous les coins d’Espagne et nous ne savons pas tout.



(1) - Revue tunisienne « AN-NADWA » - Année 1, n° 6. Juin 1953 – P. 5 colonne 2.

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